20 février 2015

Je me rends ! (I surrender!)


Gnarf. Snif. Blop. J'en peux plus, je me rends, Justin Colbart se rend, après sept ans de juste combat pour la défense d'une espèce en voie de disparition mais même pas protégée : la langue française !

Merci Monoprix (Monoprice)

Si au moins la langue française, elle s'enrichissait, se régalait de l'angliche pour quelque supplément d'âme ! Si elle digérait, transformait, grandissait, se l'appropriait en régurgitant quelque savoureux redingote (déformation de riding coat), bol (qui vient de bowl) ou autre canette (canned), comme les angliches ont redigéré notre peuple (people) ou bataille (battle), tenez (tennis), reille (rail), desport (sport), bœuf (beef) ainsi que des milliers d'autres mots ! 
Non ! Maintenant on pique tel quel, sans aucune acclimatation, en remplaçant un mot français (live, fading, blockbuster, standing ovation…) ou au mieux en faisant des glissements de sens (supporter, initier, digital, réaliser…) ! Et si ce n'était qu'une question de vocabulaire !

C'est qu'il faut se coucher devant la tendance, devant le Maître ; jamais dans ce pays on ne s'était autant "autocolonisé", et en chantant ! (surtout en chantant, d'ailleurs…)

Bienvenue à Marseille !



"Quand vous, Français, vous verrez disparaître le mot "amour", vous comprendrez peut-être qu'il sera trop tard". Comme pour accomplir une malédiction, l'album de Vanessa Paradis s'intitule Love [et celui de Julien Doré, Løve]
Denise Bombardier, romancière canadienne*

Eh bien je veux être de mon époque, je me rends (comment lutter contre un tsunami ?), je choisis la collaboration muette :

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Je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur. 
C'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat.
Je me suis adressé cette nuit à Notre Maître pour lui demander s'il est prêt à rechercher avec nous, après la lutte et dans l'honneur, les moyens de mettre fin aux hostilités. 
(Hostilités qui, il est vrai, n'étaient plus le fait que de quelques résistants résiduels, dont votre humble serviteur et deux ou trois attardés, comme Claude Hagège ou Alain Borer.)

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Je suis près à toutes les compromissions :
Je chanterai en angliche, je serai swag,
Je me mettrai à watcher les pubs (adverts) comme un louf sur MyTF1,
Je checkerai comme un bête à toute occasion,
J'appellerai maman mom et papa daddy,
Je prononcerai tous les mots un peu louches à l'anglaise, même s'ils sont allemands,

Je mettrai des majuscules partout dans les titres comme le fait iTunes avec les chansons d'Edith Piaf,
Je collerai aux mots les guillemets, les points d'exclamation et les points-virgules. Bon ça, c'est des remarques pour les typographes.

Cela dit, il ne faudra pas vous plaindre des contresens dont nos échanges anglobiches risquent d'être truffés. L'anglais est plein de faux-amis (ce qui est logique, puisqu'il a emprunté au français en quantités industrielles). Des exemples ? Y a qu'à se baisser :

Application : candidature (et aussi application)
Contestant : concurrent, candidat
Decisive : décidé (décisif aussi)
Fortunate : chanceux
Considerate : prévenant
Puzzled : perplexe
Inhabited : habité
Demand : exiger
Attend : être présent / s'occuper
Diet : régime
Female : femme
Issue : question
Ostensibly : soi-disant, apparemment
Emphasis : force, insistance, accent
Outrageous : scandaleux / incroyable

Changer de langue, c'est changer de société : 

Je mangerai des burgers et boirai du café dans des gobelets en carton,
Je me lèverai pour applaudir à la fin des spectacles,
J'échangerai la solidarité contre la rentabilité, la musique contre la littérature,
Je ferai un procès à l'occasion du moindre incident de la vie pour gagner beaucoup de pognon,
et de façon générale, j'évaluerai comme Lémédia toute chose en oseille,
Je regarderai Canal+, la base avancée US, chaque jour,
Je serai "choqué" par les contenus "inappropriés",
Je mettrai l'entertainement en premier dans les tables de la Nouvelle Loi du Maître.

C'est con pour le russe, cette langue gazouillante, pour l'italien ou l'espagnol, qui sonnent mieux à mes oneilles, je l'avoue, que l'accent texan. Ce qui n'enlève rien au génie amerloque, eh, ça n'a rien à voir.

Dans un vieux film pour cinéphiles attardés (La Cité des dangers, 1975), Robert Aldrich met ce dialogue dans la bouche de Catherine Deneuve et Burt Reynolds :
— La France est le dernier rempart contre le hamburger !
— Vous aviez déjà dit ça pour le Coca-Cola !

Take care et
Dessin de Geluck



L'ami dévot.

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* Citation extraite du livre régalant d'Alain Borer sur la langue française : De quel amour blessée, Gallimard.