07 septembre 2015

Miscellanées de septembre (avec de l'amour dedans)


"Mes contacts" sont indispensables pour la dictée. Si si.



La main perdue retrouvée


Quand je pense que j'ai passé des heures à installer le système 10.8 machin-truc d'Apeule pour avoir la "dictée vocale" (sic !) et écrire sans tapoter et aggraver mes ligaments recousus de la main droite ! 
Résultat : plein de logiciels sur mon ordi ne "sont plus pris en charge" et Apeule fouille dans mes fichiers pour faire fonctionner son machin. Pour une "inefficacité vocale" totale, d'ailleurs. Ma main va mieux, heureusement, et je peux de nouveau exprimer mes petits agacements de septembre avec mes petits doigts sur le clavier. 

Informatique :
Hegel ne marche plus, ma scie sauteuse non plus

Ça commence par l'insupportable culot des marchands. Photoshop, désormais, ne s'achète plus, mais se loue par abonnement ! C'est très tendance, me confirme-t-on. Je m'imagine que, descendant au garage pour fabriquer une étagère, ma scie sauteuse ne démarre plus parce que je n'ai pas réglé ma mensualité ! Ou mon tournevis et mon marteau rouge ! Heureusement, je n'ai pas de garage et il y a bien longtemps que je ne construis plus d'étagères, depuis qu'Ikéa me loue des bibliothèques ! Tiens, justement, en voulant relire Phänomenologie des Geistes, je me suis aperçu que le deuxième volume venait de s'autodétruire, pour les raisons que je vous dis. Je me suis rabattu sur Picsou-magazine, mais c'est pas pareil.

Voierie :
Anne, ma sœur âne

Un beau boulevard, près de chez moi, large et aéré, avec de grands trottoirs, et où je n'ai jamais vu aucun embouteillage. Eh bien mes amis, la Mairie de Paris, au lieu de tracer sa jolie piste cyclable sous les arbres, a fabriqué des emprises bordées sur la chaussée, en sandwich avec de nouvelles places de stationnement. Nul doute que la qualité de l'air et l'esthétique en seront grandement améliorées !

Heureusement, crus-je (cruche ?), L'Art et la Culture me sauveront ! Je me suis donc précipité au cinéma et à la Fondation Vuitton où j'ai vu…


L'amour m'habite :
LOVE : The worst picture of the Year (Le film le plus mauvais de l'année). 

L'amour m'habite.
Gaspar Noé voulait raconter une passion amoureuse, qu'on pense qu'il pense. Mais comme Gaspar Noé est un garçon post-moderne (j'adore ce mot qui ne veut rien dire !) et que peut-être il a aussi le sens du markettigne (je n'ose le croire !), il choisit de parsemer son film de connexions sessuelles non simulées, zigounettes et pilou-pilous à tous les étages. Pourquoi pas ? D'autres s'y sont essayés avec art. Le problème, c'est l'indigence absolue du scénario et des dialogues : premier degré, redondances illustratives, folklore cul-cul (si j'ose dire) d'un Paris où l'on cause anglais (pour l'international), citations cinéphiliques à deux balles (Antonioni, Bertolucci ? Il se peut que j'aie rêvé), conformisme absolu des enjeux… En plus, les scènes de cul sont (inter)minables et les petites moustaches de Murphy, le héros, ridicules. Au fond, je me demande si Youporn ne conduit pas à des interrogations métaphysiques plus profondes. C'est vous dire.



Art contemporain :
Une expo assez bof.

L'architecture spectaculaire de la Fondation Vuitton est paradoxale. Fougueux, dynamique, superbe et… transparent, le bâtiment de Frank Gehry abrite des salles d'exposition aveugles : autrement dit, des salles qu'on aurait pu trouver n'importe où. Sauf leur disposition le long d'une intéressante déambulation chaotique. Passons.
Le problème est le contenu de la Collection permanente ! Il est vrai que je m'éloigne de plus en plus de l'art content-pour-rien, et que la lecture des commentaires au bas des œuvres, en vérité, produit souvent sur moi des spasmes zygomatiques à la mesure du vide intersidéral de leur contenu. *
Adoncques ne me suis-je nullement ému de ces ennuyeuses vidéos,… que, dans le cadre de l'Accrochage 3, les photos banales de R. Prince et P. Parreno m'ont rasé, que l'univers homo et excentrique de Gilbert et Georges me laisse froid, que Basquiat me fout le bourdon, etc. Je me suis rattrapé avec quelques vieux Wharol et deux ou trois propositions astucieuses, dont un orgue cybernétique et aléatoire.

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*On consultera avec profit l'excellente dissertation de J-F. Mattéi sur l'Insignifiance ou la Mort de l'art (merci Jean R. !) ici.



Une visite au Palais de Tokyo…

…Histoire de faire mon kéké branché sur une gondole à fond plat qui navigue dans le noir (Aquaalta —beaucoup de com' pour pas grand chose), mais surtout découvert un obsessionnel génial qui reproduit des tableaux de Jérome Bosch sur du noir de fumée à l'intérieur de verres en cristal, une camisole en ailes d'abeilles et autres préciosités délirantes et superbes, fragiles, éphémères, qui n'ont nul besoin de baratin frimeur pour susciter un joli vertige sur la finitude des choses ! Il a un nom ridicule alors comme ça on le retient : Patrick Neu
Eté désarçonné par l'univers potache, moche, provocant mais troublant d'un chinois qui a un nom quand même plus difficile à retenir : Tianzhuo Chen
Oublié le reste, en particulier le travail d'un artiste vietnamien qui, de toute façon, a un nom à coucher dehors.



Théâtre :
Ionesco dans la salle d'attente 
(la réalité dépasse l'affliction)

Jamais je n'aurais osé inventer cette scène, même pour une pièce de boulevard ! Nous sommes dans la salle d'attente de la clinique de la Main, Paris seizième, parce que quand même, ma main déchirée mérite une attention bourgeoise.
Haha ! Jiminy Criquet vient d'entrer — autrement dit, une vieille peau trop retendue, yeux bridés et pommettes saillantes très maquillées. Elle se mêle à une conversation entre trois rombières, qui ne se connaissaient pas, mais qui se rejoignent sur ce thème avec un air de dégoût : le seizième n'est plus ce qu'il était ! Avant, il n'y avait pas de Franprix, les rues étaient sans clochards, il y a même un Lidl ! Et savez-vous que, cherchant un studio pour ma fille, je me suis aperçu que les prix à Paris étaient pareils partout ?! 
(Etc. : à ce moment hélas ma chirurgienne m'appelle)
Horreur malheur ! Si l'on ne peut plus se distinguer (comme disait Bourdieu), à quoi bon ? Et que fait le gouvernement ? Il parle d'amour ?


L'amour, mais socialiste

Alléluia :  ce ne sont plus les chiffres qui guident la pensée politique. C'est l'amour ! Macron déclare (une nouvelle fois) sa flamme aux patrons ("Vous avez l'amour et les preuves d'amour") et Valls lèche le cul des éleveurs de cochons nitratés avec "un message d'amour". Le Politique et le Marché se roulent des pelles et gouvernent avec des sentiments. On avance à grands pas !



Et n'oubliez pas que Dubois était curé :

Il court il court, le furet,
Le furet du bois mesdames…

Petit bonus pour les raffinés : ICI !

A bientôt, chers fidèles,

L'Ami Dévot.





















03 août 2015

Avignon de la main gauche !








Senestre festival

Zutalors. Suite à un stupide accident de piscine, j'ai dû me faire recoudre en juillet des ligaments de la main droite : me voilà interdit de doigt d'honneur pour plusieurs semaines. Au mieux.  
J'ai donc été contraint de vivre le Festival de la main gauche, et je ne suis pas gaucher ! Au fond, ce ne fut pas un handicap insurmontable, vu le détachement serein où je me trouve après des dizaines de festivals ! Plus de frénésie, plus de course folle pour choper the place pour the pestacle incontournable ! 







J'ai pu me laisser aller sous mon chapeau par 36° à l'ombre à slalomer parmi la foule, où sont les plus jolies créatures, court vêtues et resplendissantes (si j'écarte les pouffes locales et les touristes du 14 juillet). J'ai pu calmement siroter un petit jaune ou une Jupiler en terrasse, en compulsant négligemment un programme du Off, qui doit bien peser ses deux kilos et qui traînait par là ! Puis peaufiner l'affaire sur le smartphone parce que mon Dieu il faut vivre avec son temps !

J'ai pu aussi papoter à l'ombre du cloître St-Louis où j'ai glané ou revendu des places pour le IN…

Je n'ai pas fait les 4 heures et demie de queue pour tenter de voir le sublime RICHARD III de Thomas Ostermeier, mais je l'ai vu en rediff sur mon ordi et miracle, la captation d'Arte étant remarquable, j'y ai pris beaucoup de plaisir ! 
J'en ai profité pour visionner également des bouts du "désastre" (d'après le Monde) "peu convaincant" (RFI) : le ROI LEAR d'Olivier Py. Les critiques m'ont semblé bien exagérées, mais les tics agaçants de Py bien présents aussi. Lear ou dé-Lear ? Son parti-pris sur le Silence comme Machine de guerre me semble en revanche assez fumeux. Surtout de la part d'un auteur logorrhéique…
Seulement voilà : son LEAR MINUSCULE présenté sur le parvis du Palais avant le spectacle était une petite merveille : la tragédie de Shakespeare évoquée en vingt minutes par quatre comédiens-bateleurs pétillants, ironiques et puissants !
Car j'ai vu de vrais spectacles en direct-live, attends, je te raconte.

Ce qui reste quand on n'a pas encore tout oublié

Dans le IN encore :

DARK CIRCUS. Un délice pour petits et grands, qui fait revenir aux temps bénis de l'émerveillement et dont je suis sorti… en larmes ! (toi, Justin ? Il te reste un peu de cœur ?) L'histoire, contée à la lanterne magique, d'un petit cirque en Noir et Blanc qui invite les spectateurs à devenir malheureux… jusqu'à l'arrivée inopinée d'un nez rouge ! Les deux artistes de la compagnie Stereoptik font tout en direct et à l'ancienne : fusains, pinceaux, sable, guitare et manivelles ! C'est irréprochable graphiquement et musicalement, c'est captivant et somptueux ! 

FUGUE a reçu un accueil enthousiaste. Fantaisie déjantée et… fugues jouées et chantées superbes, par des comédiens musicalement surdoués. Ils sont de leur époque : on pense aux délires des troupes flamandes ou de Peeping Tom, mais aussi aux excentricités du Suisse Marthaler. Malheureusement, en dehors des parties musicales, on sourit mais on reste sur sa faim devant la vacuité du propos… Mention spéciale, cependant, pour la prestation de la comédienne…





A MON SEUL DESIR a visiblement décontenancé les critiques. Mais les a rassurés la sage esthétique des tableaux de la Dame à la Licorne, reconstituée à fleur de peau par des actrices nues portant masques animaliers. Entre exposé expert sur la symbolique de la tapisserie du Musée de Cluny et discours poético-impertinent sur l'image de la femme et la question de la virginité. Avec cornemuse et trente figurants cuniculiformes* stroboscopiés. Cette pièce ne manque ni de charme, ni d'élégance, ni d'érotique roublardise.  

L'EXPO PATRICE CHÉREAU, dans ce lieu magnifique de la "Collection" Lambert, croise les reliques du maître (lettres, photos, dessins excellents) avec des œuvres contemporaines en résonance. Quelques écrans distillent extraits et interviews malheureusement inaudibles, mais au total on mesure l'irrépressible nécessité théâtreuse d'un artiste qui est allé (pour l'anecdote) jusqu'à rembourser pendant quinze ans sur ses propres deniers des dettes contractées au théâtre de Sartrouville. Exemplaire parcours d'un metteur en scène fasciné à ses débuts par Brecht et qui imposa par la suite un style de jeu expressionniste fondé sur une rencontre des corps physiques et une "hystérisation" des émotions que d'aucuns (dont moi je l'avoue) pouvaient trouver un peu agaçants. De la distanciation brechtienne au corps-à-corps, en somme… Mais Dieu que Koltès (qu'il découvrit) est grand ! Et que son Hamlet fut grand ! Et que les décors de Richard Peduzzi sont… grands (en hauteur, surtout) !

LA NEF DES IMAGES, à l'église des Célestins, diffusait en continu des vidéos de spectacles divers ainsi que des docus anciens (sur Vilar et les peintres, par exemple). En ce temps caniculaire, délices de chaise longue au frais…


Saisi dans l'OFF :

"Sur les 1336 spectacles du Festival OFF, j'ai choisi pour vous…" 
Non je déconne : je n'en ai vu que 0,8 %, c'est pas représentatif. Il est vrai que si on élimine tous les MON-CUL-SUR-LA-COMMODE et autres CHEVALIERS DU FIEL, les chances remontent. Les thématiques à la mode m'ont semblé tourner autour de la féminitude, de la harcèlementitude et de la judéitude.

Judéitude

Je retiens justement le remarquable MARIAGE DE M. WEISSMAN, qui raconte à trois voix l'histoire d'un survivant d'Auschwitz qui à 70 ans, se voit contester son statut de vrai juif ! Se disputent donc en lui deux Weissman contradictoires, au milieu desquelles il patauge allègrement. C'est malin, drôle, vif, audacieux et requinquant. (D'après INTERDIT, de Karine Tuil).

Un peu plus lourd, FUCK AMERICA conte sur le mode excité l'histoire vraie ou rêvée d'un apprenti écrivain juif en Amerloquie au début du XXe siècle. Le saxo est créatif et le comédien ne manque pas d'énergie énervante. 

Féminitude

ROYALE LÉGENDE
Une très intéressante correspondance (inventée !) entre Marie-Antoinette (sa vie, son œuvre, son échafaut) et le chevalier d'Eon (ses aléas, son ambivalence) !
Mise en scène d'une extrême intelligence autour des costumes, qu'ils révêtent successivement jusqu'à la touchante scène finale ou "l'Autrichienne" se perd dans l'armature de son vertugadin (voir ce mot) !

FEMME AU PARADIS. Le personnage auto-fictionnel de Nelly Arcan suit une trajectoire morbide et voit le monde comme une infernale ronde où la sexualité des hommes confine les femmes à n'être que des objets sexuels plus vraiment désirables après l'âge de 20 ans. Et peut-être même que les filles elles-même ont le secret désir d'être violées "sur le chemin de l'école"… Ce sont de vraies problématiques, mais vécues à travers la subjectivité désespérée de l'auteuse, ça donne une épopée complètement plombante. D'autant qu'Ahmed Madani, qui a fait la mise en scène et qu'on aime bien par ailleurs, a choisi de rester dans une distance prude pour éviter toute complaisance voyeuriste. Belle intention, sauf que du coup on croit entendre une dissertation alors que ce n'est qu'un cri. Et qu'il manque à la comédienne "freinée", vraiment, quelque chose de vibrant (malgré son morceau de bravoure épilépsoïde)…

ELLE(S)
Visuellement c'est assez moche et sinistre. Mais en dépit d'une construction un peu facile, un discours moins cliché que prévu sur les ambiguïtés de l'image de la femme et des conditions assignées à icelle. La jeune comédienne dépote bien. Mais bon.

ANDROMAQUE
Le metteur en fait trop dans l'esbrouffe spectaculaire, et les comédiens font ce qu'ils peuvent : ce n'est pas nul… La preuve : ça m'a donné envie de relire Andromaque, cette pièce sur la terrible passion amoureuse, que j'ai lue à 18 ans…

DOM JUAN REVIENT DE GUERRE, d'Odön von Horvath
Fabienne Pascaud s'est encanaillée dans le Off. Elle a aimé. Pas moi.

Je vous passe le détail de mes autres déceptions.

Enfin, pour se distraire intelligemment :

OULIPO, PIÈCES DÉTACHÉES
Drôle et gentiment bringuezingue, pour tous ceux qui aiment la langue, Queneau et les glissements progressifs du sens.

LE CAS MARTIN PICHE
Martin Piche est atteint d'une maladie rare : l'ennui absolu. Jacques Mangenot avait atteint les sommets avec L'AFFAIRE DUSSAERT, pochade remarquable sur l'art contemporain, il a fabriqué une pièce divertissante avec une fin un poil artificielle et boulevard. Régalant mais moins riche.

DRYTUNA, THE HAIRY RABBIT
Sur fond de falaises de Douvres, une tragi-comédie complexe et pleine de rebondissements, avec des acteurs intéressants et dans un style résolument post-moderne !
Au point qu'on ne sait pas si c'est de l'art ou du cochon.





J'en ai trop dit : ma main gauche et, par hypothèse, mon cerveau droit, sont épuisés. Vous qui visitez de somptueux sites ou vous prélassez dans des transats de plages privées en brillante compagnie, pensez au promeneur solitaire de Paris au mois d'août qui continue sa cure de haricots verts vapeur.

Je vous aime quand même, allez.

Et n'oubliez pas :
Evitez les sites des Baux !

P.S. : L'EXPO JEAN-PAUL GAULTIER au Grand Palais : Il faut les voir de près, les robes de haute couture ! Et les créations de Gaultier sont fabuleuses ! Cette expo était d'une pure beauté ! Trop tard : ça vient de fermer !








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* De l'ancien français conin ou connin : lapin

20 février 2015

Je me rends ! (I surrender!)


Gnarf. Snif. Blop. J'en peux plus, je me rends, Justin Colbart se rend, après sept ans de juste combat pour la défense d'une espèce en voie de disparition mais même pas protégée : la langue française !

Merci Monoprix (Monoprice)

Si au moins la langue française, elle s'enrichissait, se régalait de l'angliche pour quelque supplément d'âme ! Si elle digérait, transformait, grandissait, se l'appropriait en régurgitant quelque savoureux redingote (déformation de riding coat), bol (qui vient de bowl) ou autre canette (canned), comme les angliches ont redigéré notre peuple (people) ou bataille (battle), tenez (tennis), reille (rail), desport (sport), bœuf (beef) ainsi que des milliers d'autres mots ! 
Non ! Maintenant on pique tel quel, sans aucune acclimatation, en remplaçant un mot français (live, fading, blockbuster, standing ovation…) ou au mieux en faisant des glissements de sens (supporter, initier, digital, réaliser…) ! Et si ce n'était qu'une question de vocabulaire !

C'est qu'il faut se coucher devant la tendance, devant le Maître ; jamais dans ce pays on ne s'était autant "autocolonisé", et en chantant ! (surtout en chantant, d'ailleurs…)

Bienvenue à Marseille !



"Quand vous, Français, vous verrez disparaître le mot "amour", vous comprendrez peut-être qu'il sera trop tard". Comme pour accomplir une malédiction, l'album de Vanessa Paradis s'intitule Love [et celui de Julien Doré, Løve]
Denise Bombardier, romancière canadienne*

Eh bien je veux être de mon époque, je me rends (comment lutter contre un tsunami ?), je choisis la collaboration muette :

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Je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur. 
C'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat.
Je me suis adressé cette nuit à Notre Maître pour lui demander s'il est prêt à rechercher avec nous, après la lutte et dans l'honneur, les moyens de mettre fin aux hostilités. 
(Hostilités qui, il est vrai, n'étaient plus le fait que de quelques résistants résiduels, dont votre humble serviteur et deux ou trois attardés, comme Claude Hagège ou Alain Borer.)

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Je suis près à toutes les compromissions :
Je chanterai en angliche, je serai swag,
Je me mettrai à watcher les pubs (adverts) comme un louf sur MyTF1,
Je checkerai comme un bête à toute occasion,
J'appellerai maman mom et papa daddy,
Je prononcerai tous les mots un peu louches à l'anglaise, même s'ils sont allemands,

Je mettrai des majuscules partout dans les titres comme le fait iTunes avec les chansons d'Edith Piaf,
Je collerai aux mots les guillemets, les points d'exclamation et les points-virgules. Bon ça, c'est des remarques pour les typographes.

Cela dit, il ne faudra pas vous plaindre des contresens dont nos échanges anglobiches risquent d'être truffés. L'anglais est plein de faux-amis (ce qui est logique, puisqu'il a emprunté au français en quantités industrielles). Des exemples ? Y a qu'à se baisser :

Application : candidature (et aussi application)
Contestant : concurrent, candidat
Decisive : décidé (décisif aussi)
Fortunate : chanceux
Considerate : prévenant
Puzzled : perplexe
Inhabited : habité
Demand : exiger
Attend : être présent / s'occuper
Diet : régime
Female : femme
Issue : question
Ostensibly : soi-disant, apparemment
Emphasis : force, insistance, accent
Outrageous : scandaleux / incroyable

Changer de langue, c'est changer de société : 

Je mangerai des burgers et boirai du café dans des gobelets en carton,
Je me lèverai pour applaudir à la fin des spectacles,
J'échangerai la solidarité contre la rentabilité, la musique contre la littérature,
Je ferai un procès à l'occasion du moindre incident de la vie pour gagner beaucoup de pognon,
et de façon générale, j'évaluerai comme Lémédia toute chose en oseille,
Je regarderai Canal+, la base avancée US, chaque jour,
Je serai "choqué" par les contenus "inappropriés",
Je mettrai l'entertainement en premier dans les tables de la Nouvelle Loi du Maître.

C'est con pour le russe, cette langue gazouillante, pour l'italien ou l'espagnol, qui sonnent mieux à mes oneilles, je l'avoue, que l'accent texan. Ce qui n'enlève rien au génie amerloque, eh, ça n'a rien à voir.

Dans un vieux film pour cinéphiles attardés (La Cité des dangers, 1975), Robert Aldrich met ce dialogue dans la bouche de Catherine Deneuve et Burt Reynolds :
— La France est le dernier rempart contre le hamburger !
— Vous aviez déjà dit ça pour le Coca-Cola !

Take care et
Dessin de Geluck



L'ami dévot.

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* Citation extraite du livre régalant d'Alain Borer sur la langue française : De quel amour blessée, Gallimard.